par Alika Stenka
FANTASMAGORIA
Conception, mise en scène, scénographie : Philippe Quesne
Création musicale : Pierre Desprats
Textes : Mémoires récréatifs, scientifiques et anecdotiques du physicien-aéronaute E. G. Robertson, 1831 ; Allan Kardec, Le livre des esprits, 1857 ; Laura Vasquez, Vous êtes de moins en moins réels, Points, 2022.
Collaboration artistique : Élodie Dauguet / Lumière : Nico de Rooij / Voix : Isabelle Prim, Èlg, Pierre Desprats / Collaboration dramaturgique : Éric Vautrin / Assistante : Fleur Bernet / Animation 3D : Bertran Suris, Philippe Granier / Régisseur général : Marc Chevillon / Construction des décors : Atelier du Théâtre Vidy-Lausanne / Production : Elizabeth Gay / Régie générale : Quentin Brichet / Accessoires : Mathieu Dorsaz / Vidéo : Mattias Schnyder / Son : Ludovic Guglielmazzi, Charlotte Constant / Plateau : Fabio Gaggetta / Lumière : Jean-Baptiste Boutte, Farid Deghou
Production : Théâtre Vidy-Lausanne et Vivarium Studio
Présenté au Centre Pompidou (Paris) du 3 au 6 novembre 2022 dans le cadre du Festival d’Automne.
Pouvons-nous être seul face à nos peurs, nos folies et nos fantômes, seul face à l’étranger, tout en nous trouvant dans une salle de théâtre noire, convenue, et pleine de spectateurs habitués à venir au théâtre ? Pouvons-nous être, par ailleurs, comme un spectateur de cinéma, plongé dans le film, sursautant, paniquant, hallucinant devant des effets spéciaux invraisemblables ? Ici, nous pourrions être en quelques sortes entre la salle de cinéma, actuelle, où nous nous laissons aller dans nos sensations en sachant qu’il s’agit d’une fiction, et le tour de magie, la lanterne magique, qui parfois nous fait douter de ce qui a vraiment lieu et nous fait oublier ce que nous connaissons.
S’il s’agit d’un tour de magie il tenterait de faire surgir une apparition, et en cela pourrait créer une attente, ou de la peur, sur ce qui apparaîtrait, un tour de magie qui n’appartiendrait pas aux cinémas actuels, mais plutôt à nos croyances populaires, et en cela se rapprochant du début du cinéma, lorsque la « technique derrière » était encore inconnue et l’apparition d’une image surprenait et semblait réelle – ou encore du théâtre d’ombres du cabaret du Chat Noir (créé dans les années 1890 à Paris) qui par ses techniques avancées rendait les images inquiétantes, comme de réelles apparitions qui pourtant prennent fin lorsque la représentation est terminée.
Pourtant ici, nous ne sommes pas rassemblés devant un magicien dans une caverne, un cabaret, ou une ruelle obscure, nous sommes au sous-sol du centre Pompidou, en 2022, salle connue, et les spectateurs ici présents, ne sont pas vraiment venus pour vivre les incroyables sensations d’un tour de magie avec l’excitation et l’appréhension de voir ressurgir des fantômes, mais plutôt pour découvrir la nouvelle création d’un metteur en scène reconnu et contemporain, Philippe Quesne.
L’œuvre fantasmagorique sur scène parviendrait-elle à nous faire oublier ce contexte, pour nous plonger dans un lieu inconnu, une maison abandonnée où les pianos ont pris vie, les esprits étant sans doute enfermés à l’intérieur, et nous rassembler, spectateurs, autour d’apparitions dont nous serions les témoins ?
Ici, s’il y avait un magicien, ce serait le magicien d’Oz, invisible derrière ses machineries, peut-être caché sous les fauteuils, car il n’y a pas une seule présence humaine dans le spectacle, si nous ne prenons pas en compte les régisseurs en haut du théâtre, derrière le public (auxquels nous ne sommes pas censés prêter une attention particulière). Derrière le tulle à l’avant-scène, surface de projection des squelettes animés, et de la musique enregistrée de Pierre Desprats, jouée à un volume très élevé, éléments nous plongeant plutôt dans un univers cinématographique à sensations ou au coeur d’un train fantôme : les pianos sur scène semblent lointains et mélancoliques, leurs notes sont espacées, leurs mouvements rouillés. Ils semblent être l’élément magique de ce spectacle, si on les compare aux squelettes, clairement venus du vidéo-projecteur et la musique des enceintes. Ils pourraient être les esprits du théâtre, convoqués par les artifices du spectacle que sont la musique enregistrée et les surfaces de projection. Ils sont les éléments dont ne nous sommes pas censés percevoir directement la source de déclenchement (par exemple lorsque l’un d’entre eux prend feu sans pourtant se consumer, et sans que le feu ne se propage), bien qu’aujourd’hui nous sachions comment fonctionnent les pianos mécaniques et pré-programmés, et que nous voyions que les mouvements du piano qui vole trahissent les câbles l’attachant. L’idée ne semble pas donc être de nous surprendre techniquement et d’avoir réellement peur de « comment diable ces pianos bougent-ils et font-ils de la musique tout seuls ? » comme ça pouvait être le cas lors des Fantasmagories occultes d’Étienne-Gaspard Robertson (1763-1837), dont les textes sont diffusés pendant le spectacle, mais de nous laisser oublier la technique et observer l’univers plastique et sonore de ce paysage, qui nous fait voyager à travers une époque dévastée et hantée ou encore un lieu qui aurait été figé dans le temps et devenu invisible aux yeux humains.

Mais avec tous ces éléments plastiques et ces références, que se passe-t-il ici, à part un certain frisson en grande partie provoqué par la musique ? S’agirait-il simplement d’un divertissement de fête foraine mais avec plus de budget et de classe, dont le public viendrait se divertir mais en ayant l’impression de venir en intellectuels découvrir le travail des grands noms actuels ?
Je pense qu’à la différence d’une simple attraction, ici, nous pourrions laisser un état assez second nous gagner. Mais le temps reste trop court (55 minutes) pour une réelle transe. La répétition des mouvements des squelettes, de l’inscription « Fantasmagoria » sur le tulle, des notes et des mouvements des pianos, qui sont toujours les mêmes et attribuées à chaque fois à un seul piano ayant chacun sa particularité (celui-ci peut bouger, celui-ci peut voler, celui-ci peut jouer de la musique, celui-ci peut grincer…) pourraient nous faire entrer dans une autre temporalité et nous inviter à un rituel, en écoutant au lointain ces voix enregistrées et les textes fantasmagoriques de Robertson. Mais les fantômes sont-ils réellement là ? Où est la réelle disparition, oubli de soi, devant l’apparition ? Ne faut-il pas déformer sa propre installation, sa propre mise en scène, et l’oublier, pour faire de la place à autre chose qu’aux spectateurs assoupis ?
Est-ce la salle de spectacle convenue et confortable de notre siècle qui a tué de sa froideur le public et l’œuvre scénique d’un même coup tranchant ?
Ici le contexte actuel de production de spectacle, et la création du metteur en scène ne parviennent pas à mes yeux à s’effacer derrière les origines et références foraines, populaires et occultes. Je n’irais pas jusqu’à trouver cela vide, quelque chose me touche dans cette volonté de faire place à l’invisible par une installation plastique et sonore contemporaine qui reste attachée à une tradition et un imaginaire commun, tentant de nous rassembler autour de quelque chose nous dépassant. Je me demande juste si les spectateurs peuvent parvenir à faire quitter leur conscience de leur fauteuil pour y transpercer le tulle de leur esprit.
| Alika Stenka (FR) is a performer, puppeteer, co-director of the artistic company attanour, who graduated from the National Superior School of Puppetry Art (Charleville-Mézières). She is the stage director, actor and composer of the work in progress “Le Cri de la Vierge”. |

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