Entretiens. LA MACHINERIE : l’espace en mouvement

par Thibault Sinay

LA MACHINERIE : L’ESPACE EN MOUVEMENT

Table-ronde en présence de Matthieu Guichon (bureau dʼétudes Ex Machina), Carl Fillion (scénographe d’Ex Machina), Aurélien Bory (chorégraphe, metteur en scène, scénographe – Compagnie 111), Michel Fayet (scénographe dʼéquipement, société Changement à Vue), coordonnée par Thibault Sinay.

Le 27 octobre 2017 à L’Odéon – Théâtre de l’Europe (Paris)

Dans le cadre des Rencontres européennes de la scénographie

« Pour parler du théâtre, il faut commencer par parler machinerie. »
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre

« La scénographie, c’est l’espace dramatique qui a la capacité
de se transformer dans le temps selon les situations. »
Josef Svoboda 

« Les machines de spectacle ont une qualité particulière :
elles nous font accéder au rêve. »
François Delarozière 

Le théâtre vit du charme de la transformation de l’espace ; pourtant, il existe un malentendu permanent entre art et technique, entre virtuosité technologique et poésie. On a parfois l’impression d’une actualité liée à l’apparition ou à l’intrusion des nouvelles technologies dans le spectacle vivant, alors que ces questions se sont toujours posées au cours de l’histoire. Elles sont anciennes et modernes à la fois et leur vitalité tient à ce déséquilibre. 

La scénographie n’est pas qu’une profession, c’est un métier basé sur une passion, complexe et riche, alliant l’artistique et des techniques en perpétuelle évolution. Véritables explorateurs des nouvelles idées, inventeurs d’outils scéniques, Giulio Parigi, Nicola Sabbattini, Giacomo Torelli, Adolphe Appia, Josef Svoboda… intègrent les machineries et le multimédia au cœur de la narration au service de la poésie et de la dramaturgie. 

Là où le scénographe crée des espaces éphémères dynamiques, l’architecte de théâtre tente de concevoir des espaces de vie pérenne en adéquation avec l’usage technologique de son époque. Les artistes en France héritent d’une histoire, par ailleurs extraordinaire, celle de la décentralisation de la culture. Nous héritons de bâtiments ultra spécialisés qui sont nécessaires pour la danse, le théâtre, l’opéra… Pourtant, il n’y a pas suffisamment de lieux de production conçus, pensés, adaptés ou mis à disposition des artistes pour que des scénographies multimédias et technologiques apparaissent et tournent facilement. 

Nous plaçons donc cette rencontre avec des professionnels au croisement des préoccupations des scénographes, en considérant la machinerie comme une boîte à outils nécessaire pour mettre en mouvement l’espace. Les échanges entre Carl Fillion (scénographe régulier de la compagnie Ex Machina de Robert Lepage), Aurélien Bory (chorégraphe de la compagnie 111), Michel Fayet (scénographe d’équipement qui dirige la société Changement à vue), et Mathieu Guichon (ingénieur du bureau d’étude Ex Machina) apporteront nombre de réflexions et permettront de voir comment la machinerie s’invite toujours et de manières renouvelées comme un acteur essentiel dans les mises en scène. 

*

Pour Michel Fayet, scénographe d’équipement, la scène doit sans figer les machineries, offrir des opportunités, et laisser libre cours aux rêves des créateurs. Pour son confrère Michel Cova, il est primordial de questionner les programmes architecturaux pour que les architectes proposent des lieux différents de ce qui se passe actuellement, à savoir : des édifices avec des formes externes du XXIe siècle dissimulant un fonctionnement interne conservateur, basé sur les pratiques du XIXe siècle, sans aucune remise en cause du mode de fonctionnement du plateau scénique du XIXe siècle. 

On pense ici aux propos de l’architecte Rem Koolhaas, « les productions théâtrales les plus passionnantes de ces cent dernières années se sont déroulées dans des lieux qui n’étaient pas conçus pour les accueillir. Ces derniers temps, le monde a connu une prolifération de centres d’arts performatifs constitués, selon un mystérieux consensus, d’une combinaison plus ou moins identique : un auditorium de 2000 places, un théâtre de 1500 places et une boîte noire ».

La technologie du théâtre se cache traditionnellement dans la cage de scène, et l’infrastructure nécessaire aux spectacles exige des équipements de plus en plus sophistiqués. Nous sommes entourés de technologie. C’est dans l’ADN de notre époque, et ce que les technologies numériques rendent possible, est cette exploration et reconquête de l’espace scénique. 

Loin du traité de la machinerie d’antan, la machinerie actuelle crée de nouvelles relations entre technologies de l’imaginaire et technologies du vivant. La scénographie devient ainsi

un espace narratif, synchronisant lumières, espace, sons, couleurs, vidéo, matières et corps. La scène se retrouve au carrefour de plusieurs disciplines et le scénographe doit adapter son processus de création en déployant ses compétences avec un plateau technologique. Certains artistes ont été précurseurs pour discerner les potentialités de ces outils qui permettent l’exploration de nouveaux territoires. Le scénographe devenant ainsi le chef d’orchestre, placé au cœur du processus de répétition. 

Si la machinerie exerce sur nous une fascination certaine, la construction d’un espace scénique dynamique a un revers : les mutations des compétences du scénographe et des chaînes de production. Le développement des machineries et des technologies assistées par ordinateur bouscule non seulement le processus créatif, mais également les compétences des équipes techniques : bureau d’études, ateliers de construction, et machinistes, pour trouver des solutions techniques adaptées au mouvement mécanique tout en apportant une force poétique. 

Pour Mathieu Guichon, en tant que technicien, il est important de rencontrer l’équipe artistique assez vite plutôt que de déchiffrer des objectifs rédigés sur une fiche technique avec ses différentes parties subdivisées. En effet, les directeurs techniques traduisent vite les intentions du scénographe dans un programme « scénotechnique » complexe, mathématique, loin des attentes artistiques de l’objet à motoriser ou à animer. 

La Juive d’Olivier Py, secrets de mécaniciens – Mathieu Guichon ExMachina

Carl Fillon invite à s’interroger : « Pourquoi le mouvement ? Pourquoi utilise-t-on le mouvement dans le spectacle ? ». Pour lui, le mouvement apparaît dans une démarche artistique pour créer plus qu’un simple décor, c’est-à-dire un élément statique en arrière-plan qui nous indique où l’on est, et à quelle époque. Si la scénographie se met en mouvement, où met en mouvement l’espace, elle peut ainsi transformer l’espace à vue du public et devenir tout à coup un langage, devenir poétique, et apporter du sens à l’œuvre. Les transitions entre les scènes, entre les actions, et les lieux sont souvent l’occasion de réfléchir à comment évolue l’espace, et à quelle vitesse. 

*

Contrairement aux créations axées principalement sur le texte, les productions de Carl Fillion, ou d’Aurélien Bory, convoquent dès le début du processus les acteurs et les techniciens. Le studio de répétition se transforme en véritable laboratoire pour accueillir la machinerie scénique et construire le spectacle en alternant différentes phases à la fois techniques et artistiques. 

Dans cette recherche d’habiter l’espace avec des objets de théâtre, les machines sont installées, les ordinateurs sont connectés, prêts à êtres utilisés afin d’explorer les multiples ressources de l’espace. Aurélien Bory souligne, que, dans la salle de répétition, il faut être ouverts à ce que des coïncidences, des accidents puissent se produire. Dans son travail, tout est acteur : espace, lumière, musique. Les mouvements de la machine sont toujours premiers et les danseurs n’ont d’autre choix que de s’adapter à ses changements. La scène technologique questionne ainsi de nouveaux enjeux pour les interprètes, pour échapper aux appréhensions physiques d’une scénographie et des contraintes du mouvement. C’est ce rapport entre distance et proximité qui apparaît intéressant entre le corps et la scénographie.

La question qui se pose aussi, c’est : qui programme les machines ? Car on est en permanence confronté à des outils qui sont pré-programmés par des industriels. Les gens qui utilisent ces outils ne vont souvent pas chercher plus loin que ce qui a déjà été prévu. Par contre les créateurs, les ingénieurs rompent en cela, avec les prévisions et objectifs de la machine, pour explorer un champ des possibles. La machine est mise au service de l’exploration d’une histoire au même titre que l’action scénique. 

Bien que le régisseur apprenne à contrôler la chorégraphie du « robot » pour coordonner les mouvements des planches et des corps dans chaque scène, le processus créatif ne peut pas être complètement sous contrôle, il doit permettre d’écouter son intuition et de laisser la machine accompagner les idées. Les danseurs sont alors confrontés à un dispositif qui exige d’eux une nouvelle manière d’être sur la scène. Un robot ou une machinerie complexe deviennent ses partenaires. C’est donc leurs capacités d’adaptation qui sont mises en jeu, car ils sont souvent placés dans une situation d’inconfort avec un espace dynamique. Pour chaque spectacle les scénographies restent des prototypes pour lesquelles des heures de programmations sont nécessaires pour tester une idée. Expérimenter une machinerie nécessite donc un temps de création fastidieux, mêlé à l’incertitude constante de la question : « Et si ça ne marche pas qu’est-ce qu’on fait ? »

Par exemple, pour le spectacle d’Aurélien Bory Sans Objet, la première étude a consisté à savoir comment faire entrer ce robot sur la scène ? Comment le faire tenir ? Puisque d’ordinaire il est vissé dans du béton ! C’est pour cela qu’un socle de soutien a été construit. Cette condition technique du socle est devenue la scène. 

Dans le travail d’Aurélien Bory, l’objet n’est jamais immobile : il est toujours doué de mouvement et d’action. Tous ses spectacles trouvent leur point d’origine dans le choix d’une contrainte scénographique. Ainsi, chacune de ses créations l’oblige à explorer toutes les possibilités de la scénographie pour en extraire une dramaturgie, jusqu’à l’épuisement du dispositif. Bien sûr, il faut accepter qu’un grand nombre d’idées, de tentatives, ne trouvent pas leur place dans le spectacle. 

Par exemple, dans Plus ou moins l’infini, l’ouverture du spectacle met en scène un ballet d’une centaine de tubes en PVC tenus par des fils. Cette chorégraphie-mobile manipulée par les acteurs évoque l’univers technologique mais avec les équipements classiques du théâtre. Pour le spectacle Sans Objet, il prend un objet très technologique et se pose alors la question : et si ce n’était pas l’acteur qui était au centre du théâtre, mais un robot industriel ?  En quittant le contexte pour lequel il a été conçu, le robot devient sur scène sans objet. Ce robot, ce bras articulé, fonctionne comme une grande marionnette, et manipule à son tour les acteurs comme des marionnettes. Ce sont toujours les acteurs qui suivent la machine et s’y adaptent. Dans les usines, ces robots ne sont jamais au contact de l’homme pour des raisons de sécurité. Sur la scène, Aurélien Bory a transgressé ce tabou, pour créer un dialogue entre l’homme et la machine.

Parler de la machinerie, manœuvrer, faire apparaître et disparaître des décors c’est aussi raconter l’histoire du théâtre. Le mot « robot » lui-même vient du dramaturge Karel Čapek. Dans sa pièce d’anticipation R.U.R. (Rossum Universal Robot) présentée en 1920, le terme robota décliné du tchèque signifie corvée. Pour Aurélien Bory, la cage de scène est aussi une source d’inspiration. Dans le spectacle Espæce, le metteur en scène se joue du vide scénique, réinterprète la machinerie dans une danse de l’espace, où les acrobates glissent sur les costières, se balancent sur les perches, où le faux mur du fond se plie et se déplie, avance et recule, enferme ou libère tour à tour les comédiens… Le décor se métamorphose sans fin, explorant avec les outils du théâtre et de la scène tous les champs du possible. Parmi les contraintes de la tournée du spectacle, il était bien sûr impensable d’adapter la chorégraphie aux équipements scéniques de chaque lieu. La scénographie est une réplique de la cage de scène de l’Opéra d’Avignon, lieu de création du spectacle. Les agrés des danseurs se confondent avec les équipements techniques du théâtre.

Dans un dialogue constant entre le scénographe, le directeur technique et l’ingénieur scénique, Mathieu Guichon ne veut pas se placer comme un simple ingénieur technique, qui trouve des solutions sans comprendre les enjeux dramaturgiques du mouvement. Pour l’opéra Pelléas et Mélisande présenté au Festival d’Aix, une jaguar XJ devait traverser le plateau. Un point concernait la vitesse du véhicule qui devait atteindre 2 m/s. Il est peu probable que les vitesses soient évaluées intuitivement par les scénographes. La façon dont nous percevons couramment la vitesse d’un objet est très variable en fonction d’un déplacement vertical ou horizontal. 

Mathieu Guichon a ensuite rencontré le scénographe pour qui la voiture n’avait pas besoin d’aller très vite. Mais il voulait que ce véhicule lourd soit menaçant. Il a dû également prendre en considération que le véhicule serait conduit par un chanteur et donc devrait être facilement manipulable. Pour faciliter l’apprentissage du pilotage, il a dû réfléchir à un dispositif mécanique pour conserver l’ergonomie et les commandes habituelles d’une voiture. 

*

On le sait, il est toujours difficile de mouvoir des décors dans une maquette. À l’heure où les progrès technologiques et le numérique révolutionnent discrètement mais sûrement l’art théâtral, avant même de parler du plateau, les logiciels informatiques de CAO (conception assistée par ordinateur) révolutionnent la façon de concevoir des maquettes. 

Pour chercher les différentes configurations spatiales de la scénographie dans la production du Ring de Wagner, Carl Fillion a utilisé plusieurs maquettes traditionnelles à échelle 1:33 et une maquette mécanisée au 1:5. Dans l’élaboration du projet, la maquette réelle a eu ses limites : il a été nécessaire d’alterner entre la maquette en carton et la maquette numérique. L’ordinateur a permis de visualiser et d’apprécier les mouvements avec leur vraie vitesse, la masse réelle de l’objet. 

Les perspectives offertes par l’outil numérique et la 3D bousculent les frontières traditionnelles du théâtre et aboutissent aujourd’hui à la réalité virtuelle. Carl Fillion développe, en collaboration avec Microsoft et le Cirque du Soleil, un masque de « réalité augmentée mixte » appelé HoloLens. Du masque emblème du théâtre au masque numérique, il n’y a qu’un pas, qui permet de passer du visage du comédien à celui du public. Le masque HoloLens imbrique le virtuel dans notre réel. L’outil permet de créer grandeur nature une scénographie holographique pour tester les idées et visualiser la scénographie sur la scène. Cette maquette virtuelle permet de réfléchir, grâce à la visualisation, à la meilleure prise en charge technique du dispositif, et d’envisager les adaptations nécessaires avant la construction du décor. Le metteur en scène peut ainsi circuler en immersion dans son futur décor, apprécier la scénographie et en juger les qualités esthétiques.

Carl Fillion constate par ailleurs que ses technologies numériques d’immersion et d’interaction offrent de nouvelles possibilités pour « transporter » le spectateur dans des mondes inhabituels. Il prévoit de poursuivre cette expérimentation en construisant un spectacle avec une scénographie qui serait impossible à créer dans la réalité, et proposer ainsi une atmosphère différente grâce au masque HoloLens. Le public serait ainsi immergé dans un espace « augmenté» avec des actions scéniques multiformes. Imaginer la scénographie numérique offre des perspectives claires sur la façon d’imbriquer le virtuel dans notre réel. En discussion avec Carl Fillion, nous rêvons à ce que pourrait être un usage de ces technologies non plus simplement dans le travail de la maquette numérique, mais dans des situations de spectacle : la réalité virtuelle comme nouvelle boîte noire modulaire.  

*

Pour Carl Fillion, la création du Ring de Wagner, au Metropolitan Opera de New York, a nécessité quatre années de réflexions, de développement technique et artistique. Ex Machina crée en mode work-in-progress : la proximité des ateliers techniques avec l’équipe de création et de production est essentielle. Comme pour ses opéras précédents, Ex Machina a choisi de travailler avec Scène Éthique Inc. pour le concept structurel et la fabrication du décor ainsi que pour les éléments mécanisés. Différentes étapes de recherche, de compromis, de questionnement, de laboratoire, d’expérimentations, d’intuition, ont permis de définir le langage de l’élément scénographique principal, surnommé La Machine. L’intégration du mouvement dans l’espace est une aventure collective, qui implique de fortes interactions et un enrichissement mutuel entre plusieurs disciplines pour produire de nouveaux univers de pensée « poétique ». Un va-et-vient constant à dû s’établir dès le début entre le bureau d’étude, les ateliers de construction et le metteur en scène. 

Au premier regard, le décor pour cet opéra imaginé par Carl Fillion semble être très simple. Le spectateur entre dans la salle et voit une scène vide, le plancher incliné commence à se transformer, et de là permet de raconter l’histoire pour évoquer les différents lieux sur les quatre opéras. La scénographie devient une « marionnette », comme si le sol du théâtre se déployait et passait de l’horizontale à la verticale. 

La production est basée sur la théorie des plaques tectoniques dans laquelle chaque pièce de la croûte terrestre est constamment en mouvement. Traduire cette idée sur la scène voulait dire construire une plateforme composée de 24 pales de formes triangulaires de 9 mètres de long. La Machine est une installation de 45 tonnes avec deux tours supportant un axe de rotation central motorisé de 18 mètres. Deux grandes tours élévatrices de part et d’autres de la scène permettent, via des cylindres hydrauliques, la translation et la rotation de l’axe central. Le mouvement des planches permet à la scénographie de se transformer en escalier, en épine dorsale d’un dragon, en montagne, en forêt, en grotte ou en chevaux des Valkyries… La portée de l’axe central, son propre poids, le poids des pales et des artistes ont contribué au défi que représentait la conception de cet élément. Les contraintes de transport imposaient que l’axe central soit séparé en trois sections. Les liens mécaniques entre les sections devaient donc être mécaniques et ont été spécialement conçus et usinés pour répondre aux charges imposées. La géométrie de la scénographie impose un certain engagement acrobatique des acteurs – des circassiens incarnent des doublures des chanteurs pour mieux appréhender l’espace en mouvement.

Construit par l’atelier Scène Éthique, cette machine très pointue technologiquement a pourtant un usage traditionnel dans son emploi, tout n’étant pas piloté par ordinateur. Avec près de 50 machinistes sur scène, le scénographe utilise la gravité, le balancement naturel des planches et la force manuelle pour créer les différentes combinaisons de pales. Chacune des poutres est libre de rotations sur l’axe, contrôlées par un système de freinage à disque programmable. Donc en utilisant l’hydraulique, l’automation et le travail des techniciens, La Machine se métamorphose selon les configurations imaginées par le scénographe. Neuf projecteurs vidéo sont répartis dans la salle et projettent la même image qui s’adapte aux mouvements de la scénographie. Sur chaque poutre, un système d’encodage qui indique au projecteur la position de l’écran et corrige automatiquement l’image en temps réel. S’ajoute à la production un logiciel de détection infrarouge et une technologie de projection 3D gérée par le logiciel Sensei, qui permet des interactions entre l’image, le son, et le déplacement de l’acteur. 

Malgré toute cette technologie, pour créer l’ondulation du sol comme de l’eau, Carl Fillion a été confronté à un problème qui nécessitait une grande sophistication. « Les obstacles sont nos meilleurs amis ; et c’est pourquoi à l’opéra, on se fait beaucoup d’amis ! » Alors que l’équipe technique conseillait d’oublier cette idée, qui paraissait complexe, une solution fut trouvée en s’inspirant simplement d’une technique manuelle du XVIIe siècle. Il ne faut pas avoir peur d’utiliser de vieilles techniques qui ont déjà fait leurs preuves, comme cette vis sans fin avec des tambours qui imitait déjà le rythme des vagues. 

*

De nombreuses scènes se modernisent avec des systèmes de manipulation des décors technologiques contrôlés par des microprocesseurs pour synchroniser les mouvements. Du théâtre d’ombres aux robots, on peut se laisser volontiers fasciner par la technologie sur les scènes contemporaines car la machinerie permet de poursuivre une quête d’onirisme et de merveilleux. Ce qui intéresse Aurélien Bory, c’est de faire théâtre à partir de l’objet en mouvement. Ainsi le régisseur ou le machiniste qui pilote ou manipule la scénographie donne vie à l’espace tels une marionnette.

L’objet scénographique en mouvement assume de nouvelles fonctions, marque et rythme des spectacles, crée sans cesse de nouvelles relations entre l’interprète, l’espace et la mise en scène, ce qui lui confère une existence spécifique. Le scénographe devient ainsi un architecte de la métamorphose, et l’espace devient un narrateur, moteur du spectacle.

Cette conversation nourrit ma pratique et mon imaginaire, invitant la scénographie à participer pleinement à la dramaturgie et à l’action pour créer l’émotion par le mouvement de l’espace et la chorégraphie de la lumière.

Thibault Sinay (FR) est scénographe et créateur de costumes pour le Théâtre et l’opéra en France et en Europe, ainsi que Président de l’UDS, Union des scénographes et des créateurs de costumes. Récemment il signe à l’opéra les décors et les costumes de Climat à l’Opéra national de Montpellier dans une mise en scène de Damien Robert, et au théâtre les décors et les lumières de Don Quichotte avant la nuit au théâtre Jean Vilar de Louvain-la-Neuve en Belgique, mise en scène d’Alan Bourgeois. 

One response to “Entretiens. LA MACHINERIE : l’espace en mouvement”

  1. […] Entretiens. LA MACHINERIE : l’espace en mouvement […]

    Like

Leave a comment