par Mathieu Huot
BRUNCH-CABARET
Par le Cabaret Le Secret
Avec Monsieur K, Patachtouille, David Noir, Patrick Laviosa
À la Cantine de la Cigale (Paris) le 30 octobre 2022
Prochaine date : le 18 décembre 2022 à 12h et 15h[ Avertissement : L’auteur était spectateur de cette représentation, qui inaugurait la formule du brunch-cabaret, mais il intervient par ailleurs régulièrement en tant qu’artiste au Cabaret Le Secret. Son regard s’en trouve forcément biaisé. ]
C’était un dimanche à treize heures, j’étais en lendemain de mariage, quand a commencé le spectacle du cabaret le Secret, là, à l’intérieur du restaurant de la Cantine de la Cigale à Montmartre.
Le public était convié une heure avant le spectacle. On nous a servi le brunch, inclus dans le prix. Et il m’était bien doux de me dire que j’avais le temps de discuter avec mes amis, de manger des œufs à la bénédictine (j’adore ça), de prendre le temps. Quand le spectacle a commencé, j’étais dans une autre disposition que j’étais arrivé, ouvert, détendu, disponible, ma gueule de bois était partie, j’étais bien.
On est loin du stress d’arriver à l’heure le soir pour un spectacle, courir dans le métro, pester sur mon smartphone à retrouver la place, m’asseoir dégoulinant sur mon fauteuil alors que le noir se fait déjà dans la salle.
En anthropologie, le rituel est une action ou série d’actions qui, au contraire des actions ordinaires, ne répondent pas à une disposition (je bois parce que j’ai soif) mais au contraire agissent sur des dispositions (je fais trois tours avec ma main devant mon verre d’eau avant de le boire, et mon attention est portée alors ailleurs que sur ma soif).
Peut-être qu’au-delà de la faim, le brunch a eu un effet rituel sur moi.
Comme d’ailleurs le plus souvent au cabaret, où on ne vient pas juste pour un spectacle. Le temps d’accueil, souvent avec des « créatures » déjà maquillées voire costumées, le long temps pour boire un verre et discuter avec ses ami.es ou ses voisin.es, le soin apporté à la décoration de la salle, y comptent beaucoup. Comme ont pu me dire certain.es spectateurices, on vient passer un bon moment. Peut-être oublient-ils de préciser : ensemble. Et j’y vois une profondeur à laquelle je ne trouve rien à redire. Alors peut-être que le cabaret a bien raison de surinvestir cette dimension rituelle du spectacle, qui déplace notre régime attentionnel avant même que le spectacle ait commencé, pour nous placer dans un autre rapport à la vie.

Monsieur K, chapeau haut-de-forme et maquillage quelque part entre drag queen et clown blanc, entame La vie à 25 ans de Dani, en pleine lumière du jour, coincé dans un angle devant la vitrine, une plante verte et les gens qui passent dedans comme dehors, et chante « On est sur la Terre / Pour se laisser faire / Y’a pas d’mal tu sais à s’faire du bien ». Les klaxons d’une manifestation pour les livreurs l’interrompent, il en joue, va les invectiver sur le trottoir, revient, reprend sa chanson, pendant que le chien du patron fait ses allers-retours devant lui. A ses côtés, le pianiste Patrick Laviosa joue imperturbablement son piano électrique posé sur les tables de bar, lui-même assis sur un réhausseur sur la banquette. Les premiers spectateurs, de chaque côté, sont loin, à trois ou quatre tables d’eux. Je suis un des plus près, à 8 mètres environ, à une table d’amis avec qui je rigolais depuis déjà une heure en dégustant mon brunch. Derrière moi, au fond de la salle, trois tables de bar font office de loges, à vue, où David Noir et Patachtouille s’habillent et se maquillent.
Rien n’est gagné dans ce chant, tout semble faire obstacle, et la vie ne s’arrête pas comme dans une salle noire pour écouter. Mais Monsieur K ferme les yeux, s’abandonne à la volupté de la chanson recrachée dans les enceintes au-dessus de moi, puis la seconde d’après il ouvre l’œil, fait une blague, puis replonge. Quelques minutes plus tard, Patachtouille, avec sa voix de ténor, sa perruque de Marie-Antoinette et sa barbe à paillettes, dans une robe droite en lin comme on si on la conduisait à l’échafaud, entame à son tour sa chanson, Les hommes qu’on n’encule pas de Pierre Notte, et trois fois de suite perd son texte, s’arrête, s’écrie « Ah voilà, j’ai le trac ! », en rit, reprend trois fois et lance de plus belle sa voix lyrique pour atteindre les tables toujours aussi loin.
Je n’étais pas n’importe quel spectateur, il faut le reconnaître : je chante moi-même depuis deux ans au cabaret le Secret et j’étais venu soutenir les copains dans ce nouveau lieu. D’habitude, on est dans un entrepôt industriel transformé spécialement pour le cabaret, avec des jauges d’une bonne centaine de personnes, où l’on affiche souvent complet, un public entassé, ravi, qui gagne en excitation au fil de la soirée et chante avec nous, et rit avec nous, et manifeste son plaisir d’être là, à partager nos rires, nos larmes, nos coups de gueule.
Mais là, non. Le public avait bien acheté sa place (le prix du brunch inclus) et avait donc fait la démarche de venir voir le cabaret, comme d’habitude (ou alors il restait manger dehors en terrasse), mais le lieu restait tel quel, sans transformation particulière. Un public distant, une attention sans cesse déroutée par la vie… Et pourtant, quelque chose d’infiniment précieux m’est apparu dans ces numéros toujours au bord du gouffre, au bord du bide, et qui se donnent quand même. Soudain il m’est apparu comme un retour aux sources évident, ici, dans un coin de bar, à Montmartre : c’est là qu’est né le cabaret, à la fin du XIXe siècle, dans des coins de bar et des caves de Montmartre, et c’est encore là sa force : rien ne pourra l’empêcher de continuer, et tant que des artistes seront prêts à prendre le risque de retourner jouer dans ces coins de bar, il continuera d’échapper à toute tentative de récupération institutionnelle, marchande ou touristique. Il y a là un acte théâtral essentiel, des gens qui jouent pour d’autres gens, avec les moyens du bord, et qui essaient de nous embarquer. Il y a un garde-fou précieux contre la dévitalisation qui menace toujours la profession.
Car il est légitime et sans doute inévitable de chercher à gagner sa vie en tant qu’artiste sans y laisser sa santé. Vient le besoin de pérenniser un modèle pour trouver comment ne pas dilapider l’effort pour organiser une date, faire venir le public, que chacun.e rentre dans ses frais et ait de quoi vivre, autrement dit tôt ou tard vient le besoin d’institutionnaliser. Précisons que les 4 artistes étaient chacun rémunérés : on ne jouait pas ici au chapeau. Le modèle économique avait été pensé avec soin par Monsieur K pour garantir son credo : rémunérer et déclarer les artistes. Mais difficile dans ce processus de ne pas céder aux pièges mortifères de l’efficacité : on trouve des recettes, sur scènes et en-dehors, qu’on applique, et peu à peu manque ce « petit quelque chose en plus qui fait que je vais au théâtre », comme me disait un jour un spectateur. Je n’ai pas trouvé de formule plus précise. La surprise ? L’émerveillement ? En tout cas, il ne s’agit pas (seulement) d’identifier des attentes (des artistes, du public) et les satisfaire. En ce sens même la tentative de cet article de mettre le doigt sur ce qui m’a plu au brunch du Secret, de peut-être parvenir à l’identifier et le nommer, pour pouvoir le ré-utiliser, est vaine : dès que c’est trop circonscrit, c’est mort. Dès que ça s’installe trop, il faut ré-injecter un peu de destruction créatrice. Et à l’heure où les salles de théâtre peinent, depuis le Covid, à retrouver leur public, à l’heure où le nouvel essor populaire du cabaret fait déjà planer la menace mortifère d’une fixation des codes et des formes, le brunch du cabaret le Secret m’est apparu comme une joyeuse entreprise de dés-institutionnalisation du spectacle : une pulsion de vie.
C’est dans ces coins de bar que le cabaret en particulier, et le spectacle vivant en général, peut peut-être le mieux se ressourcer dans sa nécessité, n’en déplaise à tout l’establishment qui, par angoisse de retrouver ces affres de la vie matérielle et du manque de reconnaissance publique, préfère mépriser ces représentations confidentielles et ne veut entendre que sa propre logique, celle de l’institutionnalisation des choses. C’est dans la générosité de cet acte, comme un don ou une offrande qui nous était faite à nous public, que j’ai ressenti quelque chose qui m’a paru essentiel, et je propose le temps de cet article pour explorer un peu cette joie. Alors, qu’est-ce qui m’a tant touché ?
Si j’insiste pour fouiller, c’est parce que ce que j’ai vu me semble déjà en danger… Après le spectacle, aucun des quatre interprètes n’a l’air enthousiaste. Moi, si. « On va rectifier des choses », me dit Monsieur K. Surtout pas ! J’ai essayé de leur dire, mais ça n’a pas été reçu. Et si cet article peut servir à quelque chose, c’est peut-être juste de rappeler que leur métier est de venir vulnérables devant nous, le plus vulnérables possible. Qu’ils ne se soient pas sentis portés par le public, cela peut se comprendre. Mais ce n’est certainement pas une raison pour conclure à l’échec : au contraire, en l’occurrence, c’était bon signe. Je ne peux parler qu’en mon nom, mais je peux au moins le dire : ce qui me touche dans un spectacle, quelles que soient mes attentes, n’est pas tant un résultat bien léché, que ce moment d’offrande au public d’une chose intime et fragilisante, et la nécessité qui l’anime à nous l’offrir. Que Patachtouille oublie son texte, qu’on le voit en difficulté, mais veuille bien faire, rajoute paradoxalement de l’enjeu, donc du jeu. Vouloir « rectifier », c’est-à-dire poser un regard normatif, prendre le risque de lisser le spectacle, ce serait justement lui en faire perdre sa sève. Mais quelle sève ?
Le jeu peut être le jeu de l’enfant (le ludique) ; le jeu de l’acteur (le théâtre) ; le jeu comme on dit d’entre les battants d’une fenêtre qui ferme mal. En allemand, c’est pareil : cet espace de décalage se dit Spielraum : littéralement, espace de jeu. Et Spielraum peut aussi se traduire par : marge de manœuvre. Peut-être que notre métier dans le spectacle vivant est de chercher le point de rencontre entre ces trois définitions ? Plutôt que de le résoudre, déceler dans tout décalage une marge de manœuvre par une approche ludique ?
David Noir est annoncé par Monsieur K pour venir chanter. Depuis le brunch, je le voyais à sa table de loge en pleine transformation, et chose étonnante par son caractère performatif, très rare dans l’espace des coulisses, toujours en écoute et en réaction, à vue du public, de ce qui se passe autour. Il arrive, habillé en pépère en charentaises de cauchemar, un postiche en double-menton lui fait un goître tremblant à chaque mouvement de tête parkinsonnien, il s’apprête à entonner sa vieille rengaine lubrique, suspend son souffle, « Attendez, j’ai oublié un accessoire ! » et repart à sa table de loge, de son même pas de vieux en charentaise, marmonnant dans son goître, puis revient avec un sachet en plastique à la main, et entame enfin Elle est épatante, les connaisseurs reconnaîtront une chanson de Michel Simon. Finalement, c’est comme si la chanson, on s’en fout, c’est un bonus : le personnage est déjà là, le numéro existe avant même d’avoir commencé. Tout, chez David Noir, depuis le maquillage, est matière à jeu.

Comme me l’avait un jour expliqué l’anthropologue Michael Houseman lors d’une discussion, pour qu’il y ait théâtre, il faut un processus de double identification du spectateur au personnage et à l’interprète. S’il n’y a que l’un ou que l’autre, la mayonnaise ne prend pas. Les failles de Patachtouille, les klaxons de la rue, le chien qui passe, David Noir qui à chacune de ses entrées retourne en loge parce qu’il a oublié un accessoire, nous raccrochent à la personne – et on en a besoin : ces moments où les failles des interprètes apparaissent nous les font apparaître comme des êtres humains et nous rapprochent d’eux. Gommer ces moments serait une grande perte, et nous réduirait à ne plus jouer, je le crains, qu’avec des gagnants de concours pour un public de gagnants de concours. C’est la nécessité et l’effort que fournissent malgré tout les artistes pour s’exprimer qui peut me toucher : pas le résultat.
En anglais, jeu se traduit par play (le ludique) ou bien par game, dans lequel il y a la notion de gagnant et de perdant : la notion de risque, de ratage, d’échec, est nécessaire au jeu ; c’est peut-être ça tout simplement l’en-jeu. Plus on est proche du ratage, plus l’enjeu se rappelle à nous.
Le cabaret le Secret s’appelle… le secret. Et effectivement, je n’ai jamais entendu, ni ce dimanche, ni les autres soirs, ni même en coulisse, les piliers que sont David Noir ou Monsieur K s’exprimer sur leurs intentions, sur ce qu’ils mettent dans leurs numéros. Et ça fait du bien de ne pas être abreuvé de discours, dans un monde où les notes d’intentions vont parfois jusqu’à inonder les feuilles de salle, annonces de presse, étiquettes de musée. (Ca me fait d’autant plus de bien qu’en tant que metteur en scène et directeur de compagnie, je n’en peux plus, des notes d’intentions et discours sur l’oeuvre avant même qu’elle ait existé, et qui serviront de base à toute prise de décision). Au moins depuis Le Spectateur émancipé de Jacques Rancière on a mis en lumière qu’il y a un décalage instable, un Spielraum, entre les intentions de l’artiste et la réception du.de la spectateurice : parfois ça colle, mais pas toujours, et pas chez tout le monde. Et cette diversité de réceptions est plutôt une richesse qu’un obstacle : ça donne l’occasion de s’en parler.
J’ai eu un grand plaisir à m’attarder sur les changements de lumière naturelle, sur tel passant qui traverse derrière, sur Monsieur K au comptoir qui écoute David Noir chanter, sur les réactions des clients qui découvrent le spectacle en allant aux toilettes… Mon attention suivait librement son propre rythme et je n’avais pas la sensation de prise en otage qui peut parfois me rendre l’effort d’écoute insupportable au théâtre.
C’est sans doute parce qu’ici il n’y a pas la liturgie (au sens anthropologique : série d’actions imposées) des conventions théâtrales : reste assis, tais-toi, regarde où je te dis de regarder (puisque le reste est dans le noir), évite de toucher ton.ta voisin.e, etc. J’ai réalisé cette dimension liturgique en emmenant ma nièce de 6 ans voir un spectacle de cirque très sérieux de 1h45 : elle ne tenait plus sur son siège, demandait toutes les 5 minutes à sa mère quand était la fin, regardait derrière, chouinait… Exactement comme pendant les messes de mon enfance, le même état de corps.
Au contraire, ici, je pouvais commenter avec mes voisin.es, invectiver les artistes, regarder ailleurs, avoir un temps libre après chaque numéro : il y avait la possibilité de moduler le régime attentionnel, une marge de manœuvre autonome nous était confiée.
Si on regarde des cordes vocales en action (par exemple dans cette video), ce sont deux membranes qui s’éloignent et se rapprochent jusqu’à presque se rejoindre, en permanence. À chaque inspire, le larynx se soulève et ouvre grand l’espace entre les deux membranes… un peu comme on ouvre grand les deux battants de la fenêtre qui fermait mal, pour aérer la pièce. On peut voir dans cet espace instable entre les cordes vocales un Spielraum qui crée le son de la voix. Et il y a une question d’instabilité, et donc de mouvement, de rythme dans la marge de manœuvre que constitue le décalage.
À la fin du XIXe siècle, le metteur en scène André Antoine (la mise en scène est alors un nouveau métier du théâtre) propose un vestiaire et un bar dans son théâtre, pour qu’on y prenne son temps, assied tout le monde, pour qu’on s’y sente bien, et fait grâce à la lumière électrique le noir le plus complet dans la salle, amenant un silence étonnant. Il propose un entracte où l’on peut sortir de la salle et boire un verre au bar du théâtre, échanger sur la pièce (et au demeurant, gonfler la recette du théâtre). Ce qui est devenu depuis une habitude, est à l’époque magique : jamais on avait eu une telle ambiance d’emblée concentrée, recueillie, à l’écoute dans la salle. Enfin les acteurs n’avaient plus à rentrer dans un rapport de force avec le public pour obtenir leur écoute. Très vite, l’expérience a été reprise ailleurs. La surprise s’est institutionnalisée, elle est devenue convention, et par là-même, liturgie, c’est-à-dire violence. On a perdu la magie créée par Antoine.
On a perdu aussi le rythme des tragédies du temps de Racine, où le public mettait bien trois scènes à faire silence (s’il faisait silence, ce qui n’était jamais acquis) dans la salle, et reparlait entre chaque entracte, le temps qu’on change les chandelles. La brutalité de ces spectacles de 5 actes sans entracte (ou plus…) est bien loin du rythme dans lequel ces tragédies ont été conçues.
Mais ici, entre deux numéros, Monsieur K laisse souvent planer un silence, puis prend la parole pour faire le maître de cérémonie, sorte de bonimenteur de foire qui réactive le lien direct avec le public par des blagues. Il nous fait l’article du prochain numéro, et c’est tout un art aussi. Il ne se place pas toujours dans l’espace, parfois il reste assis sur un côté pour nous parler, faisant la place à l’espace vide, et c’est plaisant.
« Je fais le musée, personne ne fait ce que je fais », me confie-t-il après la représentation, à propos de ce rôle de maître de cérémonie. Oui. Et en faisant le musée, comme il dit, il renoue avec une vieille tradition théâtrale trop longtemps délaissée, qui permet à chaque représentation, selon chaque alchimie avec le public, de trouver un rythme organique, presque respiratoire, à l’écoute et à l’attention.
« Quand je suis contente, quand je sors de scène, je dis : c’était comme la mer. C’est-à-dire, j’étais une vague, je suis partie les chercher, ils sont revenus me chercher, je suis partie les chercher, ils sont revenus – un mouvement de mer, et quand y’a eu ça j’estime que c’est fantastique. »
La clown Zouc dans le documentaire Zouc, le miroir des autres
(réal. Charles Brabant, 1976)
J’ai l’intuition qu’il y a des enjeux sociaux, politiques colossaux pour nos démocraties en crise dans cette histoire de schéma attentionnel souple, de ne pas forcer l’attention, d’assumer les décalages. Mais je ne peux pas le prouver. Nos codes théâtraux les plus conventionnels (entendez : ceux du théâtre de salle) en sont peut-être la manifestation la plus lisible, et je vois un lien entre l’abstention ou les révoltes récentes, et ma filleule qui trépigne sur son siège. Peut-être que toutes les notifications, bips, flashes, annonces, qui redirigent constamment notre attention, contribuent à expliquer le succès populaire actuel du cabaret ou du théâtre en espaces publics par rapport au théâtre de salle.
On pourrait redouter alors la démagogie ou le populisme. Mais il ne s’agit pas, encore une fois, de coller aux attentes prêtées aux spectateurices. Il s’agit d’écoute, de mise en lien, de partage et de confiance. Et surtout, il s’agit d’assumer l’irrémédiable décalage, le Spielraum, et d’en tirer parti. Une marge de manœuvre à investir ensemble, tant par le public que par les artistes.
Rien ne colle avec rien, alors assumons, au lieu de vouloir le résoudre, cet ensemble de non-adéquations dans tous les sens, entre les spectateurices, entre les artistes, entre la scène et la salle, entre les intentions et la réalité, entre l’émission et la réception, entre celleux qui ont vécu la représentation et celleux qui étaient absent.es, mais en ont peut-être pris connaissance et peuvent s’en trouver affecté.es (par le bouche-à-oreille, ou par cet article, par exemple)…
Il y a dans cette agitation du mouvement, du désir, de la vie : ça travaille, comme on dit du bois d’une poutre (ou comme on pourrait dire de l’espace entre les cordes vocales) qu’il travaille, redonnant au mot travail un sens beaucoup moins volontariste que ce que nos organisations sociales en ont fait. Que les artistes cessent de vouloir tout résoudre ou “rectifier” et fassent plus confiance à ce travail, qui de toute façon, qu’ils.elles le veuillent ou non, se fera.
Un Spielraum partagé, à investir toustes ensemble.
| Mathieu Huot (FR) est un touche-à-tout, entre théâtre de texte, performance, cabaret, comme interprète, assistant, dramaturge, chercheur (P. Delbonno, Y.-N. Genod, K. Prugnaud, ORLAN, D. Garcia, Fondation Cartier, Chaillot, FIAC, Cabaret Le Secret, CNAM). Il a mis en scène plus de 30 spectacles depuis 2005, en travaillant sur la valorisation de la différence, le multilinguisme, la porosité de toute frontière, le trouble, les dynamiques coopératives, le rôle et la place du.de la spectateur.trice. |

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